dimanche 9 mars 2014

Création d’Adam - Michel-Ange

La création d'Adam - Michel-Ange
Histoire de la création de l’œuvre :

Nous sommes à Rome, en 1508. La basilique Saint-Pierre est en cours de reconstruction sur ordre du pape Jules II. La chapelle Sixtine, édifiée entre 1475 et 1481 pour Le pape Sixte IV, en hommage à la Vierge, est le lieu de toutes les célébrations officielles et de l’élection des nouveaux papes. Sa forme est longitudinale et son plafond en voûte est perché à plus de 20 mètres de hauteur. Un peintre italien, Pier Matteo d’Amelia a travaillé de 1479 à 1480 sur la décoration de ce plafond. Il y  a représenté un ciel étoilé, fait de boules dorées collées sur un fond bleu. 

Le plafond de la chapelle Sixtine avant la fresque de Michel-Ange
Malheureusement, il y a 4 ans (en 1504), une immense fissure est apparue sur un mur cette chapelle, suite aux travaux pharaoniques entrepris non loin, pour la construction de la basilique St-Pierre et de la Tour Borgia. C’est l’architecte Bramante qui effectue les réparations nécessaires.  En 1508, Michel- Ange (de son vrai nom Michelangelo di Lodovico Buonarroti) est choisi par Jules II pour embellir la voûte étoilée, trop simple à son goût. En effet,  le pape désire rétablir la grandeur et le prestige de l’église catholique avec un décorum à la hauteur de ses ambitions. Il demande donc à l’artiste de peindre une gigantesque fresque de 40 mètres de long sur 13 mètres de large. Un projet extrêmement ambitieux pour l’époque, puisqu’il aboutirait sur la réalisation de la plus grande oeuvre jamais  exécutée jusqu’alors !

Michel-Ange (1475-1564)
Michel- Ange est âgé de 33 ans. C’est un artiste au talent reconnu, mais qui préfère nettement s’exprimer dans la sculpture. Il est célèbre pour avoir déjà produit des œuvres majeures comme le Bacchus, la Pietà ou le gigantesque David. D’ailleurs, lui-même ne se considère absolument pas comme un peintre.

Bacchus - Michel-Ange
La Pietà - Michel-Ange
David - Michel-Ange
Peindre plus de 500 mètres carrés d’une surface  voûtée avec, comme difficulté supplémentaire, la présence de 12 lunettes de fenêtres,  voilà un défi exigeant qui peut assassiner une carrière… Il se sait attendu au tournant : ses concurrents espèrent bien  qu’il criera forfait ou qu’il se ridiculisera, dépassé par la démesure de la tâche. Bref, ce mandat n’enthousiasme guère Michel-Ange et il rechigne à l’accepter. Mais finalement, contre toute attente, il se laisse tout de même convaincre et accepte la commande du pape pour trois mille ducats. Est-il besoin de préciser que l’artiste est très croyant… Lui est-il donc vraiment possible de refuser une telle sollicitation ?

Le projet initial du pape est de peindre les douze apôtres, remontant vers le centre du plafond, ainsi qu’un décor central purement géométrique et ornemental.  Mais Michel- Ange pense « que le résultat serait certainement  décevant ».Il aspire à une œuvre empreinte de plus de panache et d’audace. Après réflexion, Jules II lui laisse carte blanche.

Il faut une année de réflexion intense et de préparation à Michel-Ange. Des théologiens le guident et le conseillent dans ses choix. Puis, l’artiste se lance dans la construction d’un gigantesque échafaudage suspendu  lui permettant d’atteindre le plafond.

Au début des travaux, il fait venir de Florence des assistants pour l’épauler, mais très rapidement, il les congédie tous. Il ne garde que deux élèves chargés de l’aider techniquement : mélange des couleurs, préparation de la chaux, etc...

Et Michel-Ange peint :

Puis, il se met à peindre avec acharnement, perché sur son échafaudage, la tête renversée vers l’arrière. Il s’est lui-même représenté à l’œuvre :

Dessin de Michel-Ange
Comme Michel-Ange ne manque pas d’inventivité, il utilise des ficelles imprégnées de craie pour quadriller son plafond et  se donne ainsi un moyen pour parvenir à respecter les proportions de ses personnages. 

Il peint avec des peintures diluées à l’eau, directement sur le plâtre frais. Personne n’est plus autorisé à entrer pour voir son travail. Sa vie, se résume à son œuvre. Rien d’autre ne l’intéresse plus. 

Les douze fenêtres lui amènent de la clarté en journée, mais dès que la luminosité diminue, il doit s’éclairer à la bougie. Il imagine alors un bricolage destiné à maintenir une bougie droite au milieu de son front. De la cire et de la peinture lui coulent sur le visage. Il travaille presque jour et nuit, mange et dort perché sur l’échafaudage. Il a horriblement mal au dos, aux bras et à la nuque. Et ses souffrances durent presque quatre longues années… Au terme de son travail, ses douleurs cervicales sont si intenses, que pendant plusieurs mois, il doit lire la tête renversée en arrière ! Ces grandes souffrances lui inspirent même plusieurs poèmes. Eh oui, Michel-Ange était sculpteur, peintre, architecte, mais également poète…Lisez donc ce sonnet adressé à son élève Giovanni da Pistoïa, dont il était amoureux. Il y décrit, non sans humour, ses conditions de travail sur le plafond de la Sixtine. Remarquez le dernier vers, qui traduit bien les doutes qu’éprouve l’artiste quant à ses capacités à mener à bien sa tâche :

À travailler tordu j’ai attrapé un goitre
comme l’eau en procure aux chats de Lombardie
(à moins que ce ne soit de quelque autre pays)
et j’ai le ventre, à force, collé au menton

Ma barbe pointe vers le ciel, je sens ma nuque
sur mon dos, j’ai une poitrine de harpie,
et la peinture qui dégouline sans cesse
sur mon visage en fait un riche pavement.

Mes lombes sont allées se fourrer dans ma panse,
faisant par contrepoids de mon cul une croupe
chevaline et je déambule à l’aveuglette.

J’ai par-devant l’écorce qui va s’allongeant
alors que par-derrière elle se ratatine
et je suis recourbé comme un arc de Syrie.

Enfin, les jugements que porte mon esprit
me viennent fallacieux et gauchis : quand on use
d’une sarbacane tordue, on tire mal.

Cette charogne de peinture,
défends-la Giovanni, et défends mon honneur :
suis-je en bonne posture ici, et suis-je peintre ?

Dans les nombreuses lettres qu’il envoie à ses proches, il se plaint de surmenage et d’isolement.  Mais aussi de problèmes d’argent. Il faut dire que ses responsabilités sont grandes, puisqu’une partie de sa famille vit de ses revenus. Voici ce qu’il écrit dans un courrier adressé à son père en 1509 : « Il y a maintenant un an que je n’ai pas reçu d’argent du pape ; je ne lui demande rien, parce que mon œuvre n’avance pas assez, pour me paraître mériter une rémunération. Cela tient à la difficulté du travail, et à ce que ce n’est point là ma profession. Ainsi, je perds mon temps sans résultat. Dieu m’assiste ! » On ne peut manquer d’être surpris de son manque de confiance en son talent de peintre. Voici ce qu’il écrit par la suite : « Je vis ici dans la détresse et dans une très grande fatigue du corps, je suis sans soins et sans argent. ».  Et ces mots sont écrits en 1509…Imaginez qu’il ne terminera son œuvre qu’en 1512 ! 

Que peint Michel-Ange ?

Il dévoile son œuvre en octobre 1512 et la chapelle est inaugurée le jour de la Toussaint par une grande messe.


Très astucieusement, l’artiste a divisé l’immense surface du plafond en plusieurs plus petites, séparées par des compositions architecturales en trompe-l’œil. Il crée ainsi une sorte d’illusion spatiale.

La fresque est composée de 9 tableaux principaux inspirés de l’Ancien Testament, de la Genèse plus particulièrement. Il a peint: la séparation de la terre et des eaux, la séparation de la lumière et des ténèbres, la création du soleil et de la lune, la création d’Adam, la création d’Eve, La chute et l’expulsion du paradis, le sacrifice de Noé, le déluge, l’ivresse de Noé. On y trouve également divers personnages bibliques, des sibylles et des prophètes. Plus de 300 personnages sont ainsi représentés. Le tout avec une débauche colorée de détails, d’expressions et la force d’une gestuelle unique. Du jamais vu !

Organisation de la fresque
Avec beaucoup d’assurance, il a peint certains personnages des neuf tableaux principaux nus (les fameux « ignudi », il y en a 20). Par contre, Dieu est respectueusement revêtu d’une tunique. Détail amusant pour nous, mais qui a dû faire grincer des dents à cette époque : il s’est autorisé à dévoiler les fesses du Tout-Puissant (mais oui !) dans le tableau de la création du soleil et de la lune, comme pour démontrer que nous sommes bien faits à son image... 


Jusqu’alors, personne  n’avait jamais osé  exposer une telle quantité de corps dénudés en un même lieu.  Imaginez…Une myriade de nus au-dessus de la tête du pape et de ses prélats ! L’originalité du regard de Michel-Ange, mais aussi sa force de caractère et son immense talent explosent ainsi toutes les conventions de l’époque. Il devient une légende vivante!
Pourtant, chacun s’accommoda bon gré mal gré de cette démesure, puisque 24 ans plus tard,  Michel-Ange est chargé de décorer le mur qui se trouve derrière l’autel de la chapelle Sixtine. Il y réalisa la scène terrible du « Jugement dernier », en 7 longues années (entre 1536 et 1541). Et dans cette œuvre, il ne peindra pratiquement que des nus ! A tel point, qu’un peintre fut mandaté pour culotter pudiquement tout ce petit monde…

L’œuvre de Michel-Ange a été restaurée à plusieurs reprises au cours de l’histoire, mais une restauration complète de grande ampleur a été entreprise entre 1981 et 1989(pour le plafond), afin d’effacer les outrages du temps qui avaient fini par ternir les couleurs d’origine (dépôts dus aux fumées des bougies ou des encens, fissures et infiltrations avec apparition de salpêtre, dépôt en surface d’une graisse poussiéreuse, etc). Voici deux photos comparatives qui illustrent le travail effectué :

Avant restauration
Après restauration
Si vous désirez en savoir plus sur le travail de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine ou sur sa personnalité hors du commun, je vous recommande de vous rendre à l’adresse suivante :


La « Création d’Adam » (1510), analyse:

Puis Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre… » (Genèse, 1 :26)

Au centre du plafond de la chapelle Sixtine on peut découvrir la représentation picturale la plus célèbre de Michel-Ange, la « création d’Adam ». Depuis sa restauration, les couleurs sont franches, les contours bien nets, afin que les détails puissent être vus sans peine vingt mètres plus bas. 

La création d'Adam - Michel-Ange
Un jeune homme nu est étendu à flanc de colline. Le dénuement et la simplicité du décor sont flagrants : ils suggèrent la jeunesse du monde et son inachèvement. Adam s’éveille au monde. Son corps est représenté avec beaucoup de réalisme, sans doute grâce à l’œil exercé de sculpteur de Michel-Ange, artiste fasciné par la beauté du corps humain. Encore tout alangui, Adam regarde Dieu qui vole à sa rencontre dans l’azur d’un ciel pur. Son visage reflète une forme de candeur, presque enfantine, qui tranche avec son corps parfait, représentation de la virilité dans toute sa splendeur. Sa nudité, pourtant justifiée, contraste avec la tunique couleur chair du Créateur, seul personnage du tableau à être habillé et dont la respectabilité se voit ainsi soulignée. Le bras d’Adam nécessite l’appui de sa jambe repliée, et sa main gauche retombe, elle aussi,  en manque de vitalité. 

Dieu, quant à lui, est l’incarnation même de la force du sage, de la volonté. Sa puissance est suggérée par sa carrure athlétique et la noblesse de son profil. Le vent fait flotter une barbe grisonnante et fournie, emblème traditionnel de la sagesse. Ce mouvement induit un sentiment de vitesse et de détermination, encore amplifié par la présence de cet index tendu, volontaire. Les doigts de Dieu et de sa créature ne se touchent pas et pourtant, on imagine aisément le passage du flux vital qui anime peu à peu Adam. On pourrait également donner une interprétation bien différente à l’attentisme et à la passivité d’Adam : ne trouveraient-ils pas une justification dans le manque d’enthousiasme des hommes à recevoir et à appliquer le message divin ?

Face à la singularité d’Adam, Michel-Ange entoure le Créateur d’une multitude de petits angelots indisciplinés qui se pressent  dans les plis d’une cape aux dimensions impressionnantes. A quoi vous fait-elle donc penser ? Personnellement, j’y vois la forme d’un profond coquillage, d’autres y ont vu les contours d’un utérus (voir même d’un cerveau !).Sa couleur est le rouge sang, comme le fluide vital qui circule dans notre corps. Cette cape est assurément un emblème de fécondité, une allégorie de la faculté de Dieu  à pouvoir créer la vie.  Notez la présence d’une jeune fille dans cette cohorte asexuée. Elle occupe une place privilégiée au milieu du groupe : Dieu l’enlace de son bras en un geste protecteur. Ainsi,  à l’instant où Dieu donne vie à Adam, la femme est déjà en germe à ses côtés…

Vous aurez remarqué la présence d’une écharpe qui flotte au vent sous la multitude qui accompagne Dieu. Elle s’échappe de la cape et sa couleur est du même ton de vert que celui utilisé pour peindre l’herbe naissante sur laquelle est étendu Adam. Ainsi, le Créateur accorde la vie aux hommes, mais sous sa main féconde, le monde végétal  peut également éclore et s’épanouir…

Les parodies :

« La création d’Adam » est l’œuvre picturale la plus célèbre de Michel-Ange. Elle a été parodiée un nombre infini de fois. Je vous propose une petite sélection :














Sources :

-« Michel-Ange » de G. Bartz, E. König, éd.Könemann
-« Jean-Paul II, le Vatican, la papauté » éd. Philippe Auzou
-« Michel-Ange » de Froukje Hoekstra, éd.PML
Interprétation de La « Création d’Adam » : Marie pour « Textes à tout vent »

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