jeudi 1 août 2013

Une place à prendre - J.K. Rowling


Simon Price, un père de famille violent, se porte candidat au poste vacant du Conseil paroissial de Pagford. Il découvre que ses petits larcins sont étalés au grand jour sur le forum du site internet du Conseil, sous le titre : «Simon Price candidat indigne au Conseil ». Chaque pagfordien peut donc lire cet article diffamatoire signé « Le fantôme de Barry Fairbrother ». Simon entre alors dans une rage folle…

[…]

« Eh bah vas-y, petit merdeux, réfléchis, gronda-t-il. Creuse ta petite cervelle de merde et réfléchis, au lieu de croire… Est-ce que tu as dit à quelqu’un qu’on avait un ordinateur volé, oui ou non ?

-Volé, non…, répondit Paul. Je l’ai dit à personne… même qu’on avait un nouvel ordinateur, je crois que je l’ai dit à personne…

-Je vois, dit Simon. Alors la nouvelle s’est répandue toute seule, par magie, hein, c’est ça ? »

Il pointait du doigt l’écran de l’ordinateur.

« Quelqu’un a parlé, bordel de merde, d’accord ? hurla-t-il. Parce que c’est partout sur ce putain d’internet ! Et moi j’ai plus qu’à espérer un putain de miracle pour ne pas – me – faire – vi – rer ! » 

Simon martela ces cinq dernières syllabes en les accompagnant chacune d’un petit coup de poing sur la crâne de Paul, qui essaya en vain d’esquiver en rentrant la tête dans les épaules ; un filet liquide et noirâtre se mit à couler de sa narine gauche ; il saignait du nez plusieurs fois par semaine.

« Et toi ? rugit Simon en faisant volte-face vers sa femme, toujours tétanisée à côté de l’ordinateur, les yeux écarquillés derrière ses lunettes, la bouche dissimulée par sa main comme par un voile. Toi, tu serais pas allée faire ta putain de commère, par hasard ? »

Ruth se débâillonna.

« Mais non, Sim, murmura-t-elle, enfin je veux dire…la seule personne à qui j’ai dit qu’on avait un nouvel ordinateur, c’est Shirley, et jamais Shirley ne… » […]

« Tu as fait quoi ? demanda calmement Simon.

-Je l’ai dit à Shirley, gémit Ruth. Mais je n’ai pas dit que c’était un ordinateur volé, Sim. J’ai juste dit que tu allais le rapporter à la maison et…

-Eh bah voilà, putain, cherchez plus ! hurla Simon. Son connard de fils se présente à l’élection, évidemment qu’elle cherche à me coincer, la salope !

-Mais c’est elle qui m’a prévenue, Sim, à l’instant, elle n’aurait pas… » 

Il se rua sur elle et la frappa au visage, comme il en avait envie depuis qu’il l’avait vue arborer cette expression de terreur ridicule ; ses lunettes tournoyèrent dans les airs avant de s’écraser contre la bibliothèque ; il la frappa de nouveau et alla s’écrouler contre le petit bureau pour ordinateur qu’elle avait été si fière d’acheter avec ses premiers mois de salaire du South West General.

Andrew s’était fait une promesse. Il avait l’impression de bouger au ralenti ; l’atmosphère était soudain glaciale, moite, un peu irréelle.

« Je t’interdis de la frapper, dit-il en s’interposant entre ses parents. Je t’inter… »

Sa lèvre se fendit, écrasée entre ses dents de devant et les phalanges de son père, et il tomba à la renverse, par-dessus sa mère couchée en travers du clavier d’ordinateur. Simon lança un nouveau coup de poing, qui atterrit sur le bras qu’Andrew avait levé pour se protéger le visage ; il essayait de se redresser, mais son père l’obligeait à rester collé au corps tremblant et recroquevillé de sa mère en les rouant tous les deux à l’aveugle de coups enragés et désordonnés…

« Tu ne m’interdis rien du tout, espèce de petit merdeux, sale petite couille molle à pustules, pauvre petit avorton de merde terminé à la pisse… »

Andrew se laissa tomber à genoux pour s’enfuir, et Simon lui donna un grand coup de pied dans les côtes. Andrew entendit son frère gémir d’une voix pathétique : « Arrêtez ! » Simon lança  un nouveau coup de pied, mais Andrew réussit cette fois à l’esquiver ; les orteils de son père allèrent taper contre la brique de la cheminée et il se mit soudain à pousser des glapissements de douleur grotesques.

Andrew s’éloigna en rampant ; Simon se tenait le pied à deux mains et sautillait sur place en hurlant des insultes d’une voix de fausset ; Ruth était allée s’effondrer dans le fauteuil pivotant, où elle sanglotait, le visage enfoui dans ses mains. Andrew se releva et avala son propre sang.
« N’importe qui aurait pu parler de cet ordinateur », dit-il d’une voix haletante, prêt à en découdre à nouveau. Il se sentait plein de courage, maintenant que la guerre était déclarée et la bataille bien engagée ; c’était l’attente qui faisait peur et mettait les nerfs à cran, quand la mâchoire de Simon commençait à saillir et qu’on entendait monter dans sa voix les rugissements de la bête assoiffée de violence. « Tu nous as dit qu’un vigile s’est fait tabasser. N’importe qui aurait pu parler. C’est pas nous…

-Tu ne…espèce de petit enculé…je me suis fracturé l’orteil ! » piaula Simon en se jetant en arrière dans un fauteuil où il continua à se masser le pied. Il avait l’air d’attendre qu’on vienne le réconforter.

Andrew imagina qu’il avait un flingue à la main ; il tirait une balle dans la tête de son père et regardait son visage exploser, sa cervelle éclabousser les murs du salon.

[…]


Extrait du livre : « Une place à prendre » de J.K. Rowling, éd. Grasset, p.391 à 394.






L’auteur :

J.K. Rowling, photo de Murdo MacLeod
Joanne Rowling est née en 1965 en Angleterre. Son goût pour l’écriture l’habite depuis sa plus tendre enfance, puisqu’elle écrit sa première histoire à l’âge de six ans. Elève discrète et intelligente, elle apprécie particulièrement l’apprentissage des langues. En 1980, on diagnostique chez sa mère la sclérose en plaques. Après son baccalauréat, elle entre à l’université en 1983 où elle étudie la littérature antique. En 1985, elle décide de passer une année à Paris pour perfectionner son français. Elle termine ses études en 1987, avec en poche, un diplôme en français et en lettres classiques.

Elle part ensuite à Londres et travaille comme assistante de recherches pour Amnesty International. En 1990, alors qu’elle débute l’écriture de son premier roman « Harry Potter à l’école des sorciers », sa mère décède. Profondément affectée, elle part au Portugal pour y enseigner l’anglais. En 1992, elle se marie avec un journaliste portugais, Jorge Arantes. Ils auront une fille. Mais le couple bat très vite de l’aile : ils divorcent en 1995. Joanne retourne en Angleterre avec sa fille, puis part en Ecosse.  Sa vie de mère célibataire est difficile et elle vit chichement des subsides de l’Etat. Comme son appartement n’est pas chauffé, elle poursuit l’écriture de son livre dans les cafés. Elle essuye le refus d’une dizaine d’éditeurs, avant d’être enfin publiée en 1997 par Bloomsbury Children’s Book. Joanne reprend alors un emploi d’enseignante de français. Comme son livre connaît très rapidement  le succès international que l’on sait, elle quitte son travail et se consacre entièrement à sa passion : l’écriture. Sa saga à l’école de Poudlard  compte  7 volumes et devient culte à travers le monde entier.

En 2001, elle se marie avec le docteur Neil Michael Murray, un anesthésiste avec lequel elle aura d’abord un garçon, puis une fille. Ils mènent une vie de famille discrète à Edimbourg. Joanne Rowling est à la tête d’une fortune colossale. Elle est très engagée dans  les causes caritatives, en particulier celles qui luttent contre la pauvreté et n’hésite pas à prendre la plume pour collecter des fonds. Très appréciée du public, elle reçoit de nombreux titres et diplômes honorifiques. 

Elle continue à écrire pour la jeunesse. Mais en  2012, elle publie son premier roman pour adultes : « Une place à prendre ». Un autre livre, « L’appel du coucou », sort en 2013 sous le pseudonyme de Robert Galbraith.

Si vous désirez en savoir un peu plus sur J.K. Rowling ou sur ses livres, je vous suggère de vous rendre directement sur son site, en français : http://www.jkrowling.com/fr_FR/

Le livre :

« Une place à prendre » est le premier livre pour adultes écrit par J.K. Rowling. Il est publié en 2012.

Bon à savoir : le roman compte tout de même 680 pages dans l’édition de Grasset !

L’histoire :

Le récit s’inscrit dans le cadre idyllique du charmant  village anglais de Pagford, avec sa petite épicerie, son nouveau salon de thé, sa jolie placette fleurie, ainsi que dans sa banlieue populaire, la « Cité des Champs »,  verrue décrépie et malfamée. 

Tout commence le jour où Barry Fairbrother, un notable de la ville, à la tête de l’influent conseil paroissial, succombe à un anévrisme. Cet homme jovial, altruiste, né dans la cité des Champs, est devenu un symbole de réussite sociale et de dévouement à la cause villageoise. Sa soudaine disparition laisse dans un premier temps,  les habitants désemparés. Mais très vite, sa succession au conseil  va attiser toutes les ambitions et entraîner un véritable séisme qui va bouleverser l’ordre établi dans la petite communauté. D’autant plus que le mystérieux « fantôme de Barry Fairbrother » n’hésite pas à poster sur internet des commentaires lourds de conséquences. Une place à prendre… mais à quel prix ? 

Mon avis :

Rowling dresse un portrait caustique et sans complaisance des habitants de Pagford : lisses en apparence, ils sont en réalité englués dans leurs hypocrisies. Elle jette un regard féroce et désabusé sur une société repliée sur elle-même, où la comédie humaine se joue à l’échelle d’une bourgade provinciale. Elle n’hésite pas à mettre en scène, parfois crûment (lire extrait ci-dessus), les dérapages de personnages souvent caricaturaux .

Tous les ingrédients semblaient pourtant réunis pour réussir un excellent roman. Malheureusement, de mon point de vue, la mayonnaise n’a pas pris : Rowling s’est  égarée dans une multiplication ennuyeuse de personnages et de profils  psychologiques, au détriment de l’histoire.  Je me suis très souvent demandée où l’auteur voulait me mener. Le  livre est trop long,  j’ai souvent eu le sentiment de végéter. Et toute cette noirceur  sordide: un directeur d’école qui ne pense qu’à peloter ses élèves, un père voleur qui violente sa famille, une mère droguée qui laisse son amant violer sa fille, un pauvre gamin délaissé, une femme d’âge mur qui fantasme sur les jeunes mâles musclés, des ados qui font l’amour au pied des tombes du cimetière communal, une adolescente incomprise qui se scarifie, des enfants qui dénoncent leurs parents, un médecin qui trahit le secret professionnel, la drogue omniprésente et la prostitution pour se la payer,  bref la liste est longue…si longue qu’elle fait perdre toute crédibilité au récit. Dommage, car le talent de conteuse de Rowling reste indéniable.

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