samedi 5 janvier 2013

Confessions d’une accro du shopping - Sophie Kinsella





Harcelée par ses créanciers, Rebecca est obligée de freiner ses dépenses : fini le shopping, vive l’austérité !
[…]

J’entame mon sixième jour d’austérité et je vais affronter l’épreuve cruciale du premier week-end.[…] Mais j’ai bien trop de volonté pour craquer. Ma journée est totalement remplie. […] Au lieu de me complaire dans un matérialisme stupide, je vais me cultiver. J’ai choisi le Victoria and Albert Museum, car je n’y suis jamais allée. Je ne sais même pas ce qu’on peut y voir. Des statues de la reine Victoria et du prince Albert ?

Je suis persuadée que ce sera passionnant et stimulant. Et surtout gratuit !

Le soleil brille quand je sors du métro à South Kensington, et j’avance à grandes enjambées, très contente de moi. En général, je gaspille mes matinées du samedi devant Live and Kicking 1 et ensuite je me prépare à faire les magasins. Mais voyez ! Je me sens soudain mûre et citadine comme un personnage de Woody Allen. Il ne me manque plus qu’une longue écharpe en laine et des lunettes de soleil pour ressembler à Diane Keaton. (Une Diane Keaton jeune, évidemment, et sans les vêtements soixante-dix.)

Lundi, quand on me demandera comment s’est passé mon week-end, je pourrai lâcher, l’air de rien : « Je suis allée au V & A. » Non, voilà ce que je répondrai : « J’ai fait une expo. » C’est beaucoup plus cool. (Pourquoi les gens disent-ils qu’ils ont fait une exposition ? On dirait que ce sont eux qui ont peint ou sculpté les œuvres !) Alors on s’étonnera : « Vraiment ? Je ne savais pas que l’art vous passionnait, Rebecca. » Et je poursuivrai, d’un ton suffisant : « Mais si. Je passe la plupart de mon temps libre dans les musées. » J’aurai droit à un regard impressionné et…

Absorbée par mes pensées, je dépasse l’entrée. Imbécile ! […]

Je retourne sur mes pas et pénètre dans le hall d’entrée à la façon d’une habituée. Pas comme ce groupe de touristes japonais cramponnés à leur guide. Je ne suis pas une touriste, moi, me dis-je avec fierté. Ceci est mon patrimoine. Ma culture. Je prends un plan d’un air dégagé comme si c’était superflu, et consulte une liste de conférences sur des sujets tels que les céramiques de la dynastie Yuan et du début de la dynastie Ming. Puis, avec désinvolture, je me dirige vers la première galerie.  

-Mademoiselle ! me crie une femme derrière un bureau. Avez-vous payé ?

Si j’ai quoi ? Les musées sont gratuits ! Oh ! je vois, elle plaisante. Je ris aimablement et poursuis mon chemin.

-Mademoiselle !

Sa voix est cassante et un type de la sécurité surgit de nulle part.

-Avez-vous pris un ticket ?

-Mais, c’est gratuit !

-J’ai bien peur que non, dit-elle en indiquant un panneau derrière moi.

Je me retourne pour le lire et manque m’évanouir.

Entrée : 5,00£.

Je suis en état de choc. Dans quel monde vivons-nous ? Ils font payer l’entrée des musées. C’est scandaleux ! Tout le monde sait que les musées doivent être gratuits. Sinon, personne ne les visitera. Exclue par une barrière financière dissuasive, une génération entière ignorera son héritage culturel. Le pays sera réduit au silence et la civilisation se retrouvera à deux doigts de l’effondrement. C’est ce que vous cherchez, Tony Blair ?

D’ailleurs, je n’ai pas 5 livres. J’ai fait exprès de sortir sans argent […]. Quelle barbe ! Me voilà prête à me cultiver et à vouloir entrer pour regarder les … enfin, tout ce qui se trouve à l’intérieur, et je ne peux pas !

À présent, les touristes japonais me dévisagent comme une criminelle. Partez ! Allez regarder de l’art.

-Nous prenons les cartes de crédit, m’informe la femme. Visa, Switch, American Express.

-Oh ! Eh bien…D’accord.

-La carte d’abonnement est à 15 livres. Elle vous donne un droit d’entrée illimité pendant un an.

Droit d’entrée illimité pour l’année ! Hé, une minute. D’après David E. Barton, vous devez toujours évaluer « le coût d’utilisation » d’un achat, qu’on obtient en divisant le prix par le nombre d’utilisations de l’objet. Admettons qu’à partir d’aujourd’hui je me rende au V & A une fois par mois (ce qui, je pense, est réaliste), la visite me coûtera 1 livre 25 seulement si j’achète un abonnement.

C’est une affaire. À la réflexion, c’est même un très bon investissement.

-D’accord, je la prends, dis-je en tendant ma carte bancaire.

À moi la culture !


Je commence ma visite de façon très consciencieuse. Je consulte mon plan, je regarde chaque pièce exposée et lis attentivement tous les petits cartons.

Calice en argent. Pays-Bas. XVI e siècle.

Planche représentant la sainte Trinité. Italie. Milieu du XV e siècle.

Coupe en faïence bleu et blanc. Début du XVII e.

Cette coupe est magnifique, me dis-je, soudain captivée.  Je me demande combien elle peut valoir. Cher, sans doute… Je cherche une étiquette quand je réalise que je suis dans un musée. Bien sûr. Ce n’est pas un magasin. Aucun prix ne figure nulle part.

À mon avis, c’est une erreur car cela supprime le côté amusant. Marcher en ne faisant que regarder devient à la longue ennuyeux. Tandis que si les prix étaient indiqués, les visiteurs seraient beaucoup plus intéressés.  On admirerait un calice en argent, une statue en marbre ou la Joconde pour sa beauté, son importance historique et tout et tout, puis on consulterait l’étiquette et on s’exclamerait, le souffle coupé : « Tu as vu le prix de celle-là ! »Voilà qui égaierait vraiment la visite.

Pourquoi ne pas écrire au Victoria and Albert Museum pour leur suggérer cette idée ? Après tout, j’ai une carte d’abonnement. Mon opinion devrait retenir leur attention.

En attendant, allons voir la vitrine suivante.

Verre à pied taillé. Angleterre. Milieu du XV e siècle.

Mon  Dieu, je meurs d’envie d’une tasse de café. Depuis combien de temps suis-je ici ? Au moins…

Ah ! Seulement quinze minutes.


Quand je parviens à la galerie d’histoire de la mode, je deviens rigoureuse et m’intéresse au sujet en tant que spécialiste. J’y passe plus de temps que partout ailleurs. Mais, bientôt, les robes et les chaussures cèdent la place à encore plus de statues et de petites choses délicates dans les vitrines. Je regarde ma montre sans arrêt et mes pieds me font souffrir…Finalement, je m’écroule sur un canapé.

Comprenez-moi bien, j’aime les musées. Vraiment. Et l’art coréen me passionne. Seulement, les sols sont durs, je porte des bottes très serrées, il fait une chaleur torride et la veste que j’ai enlevée glisse toutes les cinq minutes de mon bras. Chose étrange, j’entends é intervalles réguliers le son d’une caisse enregistreuse. Ce doit être mon imagination.

Assise là, le regard dans le vide, je me demande comment rassembler mon énergie pour me remettre debout, quand le groupe de touristes japonais pénètre dans la galerie. Je me sens obligée de me lever et de m’intéresser à quelque chose. Je contemple vaguement une toile, puis descends un couloir aux murs recouverts de vieux carreaux indiens. Cela me rappelle que l’on devrait se procurer le catalogue Fired Earth et recarreler la salle de bains, lorsque j’aperçois une scène déroutante à travers une grille métallique. Interloquée, je m’arrête.

Est-ce un rêve ? Un mirage ? Je distingue une caisse, des gens faisant la queue et une vitrine avec des étiquettes…

Oh ! mon Dieu, j’avais raison ! C’est une boutique ! Il y a une boutique. Là, juste devant moi !

Tout à coup, mes pieds retrouvent du tonus, mon énergie est revenue comme par miracle. En suivant le son du tiroir-caisse, je tourne le coin et débouche sur l’entrée de la boutique. Sur le seuil, je marque une pause. Surtout, ne te berce pas trop d’illusions, me dis-je, et ne sois pas déçue s’ils n’ont que des marque-pages et des torchons.

Mais ce n’est absolument pas le cas. Bon sang, c’est fantastique ! Pourquoi cet endroit n’est-il pas plus connu ? Il y a tout un rayon de bijoux superbes, des tas de livres d’art passionnants, des poteries incroyables, des cartes de vœux, et …

Aïe ! Je suis censée ne rien dépenser aujourd’hui, non ?

C’est horrible. À quoi sert de découvrir une nouvelle boutique si on ne peut rien y acheter ? Autour de moi, tout le monde fait des emplettes, tout le monde s’amuse. Abattue, je rôde près d’un étalage de tasses, observant une Australienne prendre une pile de livres sur la sculpture. Elle bavarde avec le vendeur et soudain, je l’entends dire quelque chose au sujet de Noël. Et là, j’ai un éclair de pur génie.

Les courses de Noël ! Je peux toutes les effectuer ici ! Je sais qu’en mars, c’est un peu tôt, mais pourquoi ne pas être prévoyante ? Et quand les fêtes arriveront, je n’aurai pas à affronter les foules monstrueuses. Comment n’y ai-je pas songé plus tôt ? De plus, je n’enfreins aucune règle, puisque de toute façon je devrai bien acheter des cadeaux à un moment ou à un autre. Je me contente d’avancer un peu le processus. Mon raisonnement tient debout.

C’est ainsi qu’une heure plus tard, je sors, radieuse, avec deux gros sacs, J’ai pris un album de gravures de William Morris, un puzzle en bois d’autrefois, un livre de photos de mode et une superbe théière en céramique. J’adore le shopping de Noël. J’ignore ce que je vais offrir et à qui, mais l’important est d’avoir sélectionné des articles intemporels et exceptionnels qui mettront en valeur n’importe quel intérieur. (C’est du moins le cas de la théière, comme l’indique la notice.) Je pense m’en être bien sortie.

Cette matinée a été une réussite totale. En quittant le musée, je me suis sentie comblée. Cela démontre l’effet positif sur l’âme d’un pur moment de culture. À partir d’aujourd’hui, je passerai tous mes samedis matin dans un musée.

[…]


Extrait du livre : « Confessions d’une accro du shopping », de Sophie Kinsella, éd. Pocket


Note :

1 : Émission de variétés entrecoupée d’interviews de stars.






L’auteure :

Sophie Kinsella
Madeleine Wickham, alias Sophie Kinsella, est née à Londres en 1969. Elle se tourne d’abord vers une carrière de journaliste financier, avant de publier son premier ouvrage en 1999 : « Une maison de rêve ». À partir de là, les romans à succès s’enchaînent. Auteure prolifique, elle est connue avant tout pour sa plume humoristique. « Confessions d’une accro du shopping » est  publié en 2002. C’est le premier tome de la série « L’accro du shopping » :
-2002 : « Confessions d’une accro du shopping »
-2003 : « L’accro du shopping à Manhattan »
-2004 : « L’accro du shopping dit oui »
-2006 : « L’accro du shopping a une sœur »
-2oo8 : « L’accro du shopping attend un bébé »
-2011 : « Mini accro du shopping »


L’histoire :

Becky  Bloomwood est une jeune femme de 25 ans qui travaille comme journaliste financier. Elle est plutôt jolie, gaie, optimiste, intelligente, pétillante, inventive… Que de qualités ! Alors où est le problème ? Eh bien, tout serait parfait, si elle n’était pas aussi insouciante, manipulatrice, immature, futile, calculatrice, menteuse, puérile, mythomane, culottée  et…ouf…dépensière : une vraie compulsive de la carte de crédit, une incorrigible addict au magasin, une acheteuse effrénée de …tout. Un cocktail détonnant, qui mène Becky au bord du gouffre, lorsque les banques ne cautionnent plus ses excès. Que faire ? Sans carte de crédit, son monde et surtout,  son moral s’effondrent ! C’est vraiment intenable… Que faire sans fringues de marque, sans sorties restaurant, sans chaussures chic, bref comment se passer de ces petits luxes qui pimentent la vie ?
 Dès lors, le lecteur est aux premières loges pour assister à  ses désopilantes  tentatives d’abstinence et d’austérité. Les situations cocasses s’enchaînent. Parviendra-t-elle à changer ? Résistera-t-elle longtemps à l’attrait magique des soldes ? Et Luke Brandon, un riche et séduisant homme d’affaires, pourra-t-il lui procurer assez d’allant pour se sortir de cette situation déprimante ? À vous de lire la suite…


Quelques citations :

-« Je pense que le shopping devrait figurer dans les risques cardio-vasculaires. Mon cœur ne bat jamais aussi fort que lorsque je vois un panneau ``soldé à 50 %’’. » p.40
-« J’adore les vêtements neufs. Si l’on pouvait en porter tous les jours, la dépression nerveuse n’existerait plus. » p. 215
-« En général, j’utilise simultanément deux systèmes : les prix réels et les prix pour maman. » p. 61
-« Mon père m’a conseillé deux systèmes : dépenser moins ou gagner plus. » p.130


Mon avis :

 Les ingrédients pour faire une bonne histoire des aventures de Becky Bloomwood  sont présents : l’histoire est en effet très bien amenée. Mais les situations sont parfois si rocambolesques, qu’elles finissent par manquer totalement de crédibilité.  Pourtant, malgré la présence d’une multitude de failles dans le récit, tout est si finement enrobé d’humour, qu’on se prend vite au jeu et qu’on attend la prochaine scène avec impatience…D’ailleurs, la profusion de dialogues apporte une vie et un dynamisme qui empêche le lecteur d’être gagné par l’ennui. Même l’héroïne, qui possède en majuscule le Don d’exaspérer le lecteur, devient  au fil des pages, un personnage attachant et sympathique…
Au final, que faut-il en penser ? Le livre m’a amusée, comment ne pas céder à l’humour de Kinsella ? C’est un livre à dévorer lorsqu’on a le moral dans les chaussettes et qu’on cherche à se distraire. Pour le reste, vous n’êtes pas à la bonne adresses : amateurs de belles tournures, d’envolées lyriques, de séismes neuronaux, ou de mondes extraordinaires, passez votre chemin, il n’y a rien à voir…

Une adaptation cinématographique du livre a été réalisée en 2009 par P.J. Hogan, sous le titre  : « Confessions d’une accro du shopping ».

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