dimanche 25 mars 2012

Cauchemar à louer - Serge Brussolo

 
(…) David remonta la rue principale, les mains dans les poches, essayant de se donner l’air dégagé. Ce serait dur d’avoir des amis ici ; il en avait l’amer pressentiment. On allait lui en faire baver, c’est sûr. P’pa était complètement à côté de ses pompes quand il s’imaginait qu’il allait se faire des copains.

Alors qu’il passait devant une petite maison de pierre rose, il aperçut la première grille, cachée par un volet. Il comprit qu’il suffisait d’un geste pour la rabattre et obturer complètement l’espace de la fenêtre. C’était une grille aux barreaux entrecroisés, énormes. Les sourcils froncés, il se mit soudain à détailler chaque maison. Autour de lui toutes les fenêtres étaient munies de grilles cadenassées. Les portes des maisons, elles-mêmes, semblaient bizarrement volumineuses. Trop épaisses ? Il s’approcha d’une véranda fleurie et distingua les gros boulons sur tout le pourtour du battant. Crénom ! C’était une porte blindée ! Une vraie porte de prison qu’on s’était contenté de barbouiller de couleur vive. Il déglutit une salive épaissie par la poussière.

Maintenant, il marchait plus vite, faisant le tour des pâtés de maisons. Sur les autres faces des bâtiments, les grilles étaient encore en place, solidement enchâssées dans l’encadrement des fenêtres. Ainsi équipée, chaque maison avait l’air d’une prison ou d’un asile de fous. Toutes les portes étaient en acier renforcé et l’on sentait, dans chaque architecture, la volonté de réduire les ouvertures au maximum. La ville était en réalité constituée d’une juxtaposition de petites forteresses maquillées à la peinture rose ou blanche et décorées de géraniums.

David s’arrêta étourdi. Devant lui, se dressaient les ateliers d’une grande forge d’où s’échappait un concert de coups de marteau. Des grilles, encore marbrées par la morsure bleue des flammes, refroidissaient contre un mur. Il y en avait assez pour équiper toutes les cellules d’une prison d’Etat, et le moins qu’on puisse dire c’est qu’on les avait conçues pour résister aux efforts de bagnards particulièrement baraqués.

Un jet d’étincelles fusa des profondeurs du hangar, comme un avertissement. David battit prestement en retraite. Dans la cour d’une maison il vit un poulailler dont les barreaux entrecroisés constituaient une cage inviolable. Des poulets déplumés se pavanaient au centre de cette prison dans laquelle on aurait plus volontiers imaginé un tigre ou un gorille. Les renards étaient donc si féroces dans le coin ? David se passa la main sur le visage. Il transpirait dur et respirait mal. Un chien s’approcha derrière un grillage, les crocs découverts. Il était constellé de cicatrices grossièrement recousues par une main inexperte.

« Un chien de combat, songea David. Comme celui qui nous a attaqués l’autre jour… »

Des combats de chien, c’était bien là une distraction de poseurs de pièges. On aimait le sang dans cette ville. Le sang, et pas beaucoup les étrangers. Il se força à bouger car il devina qu’on l’épiait. Des rideaux remuaient derrière les fenêtres grillagées. Peut-être même les commères avaient-elles commencé à se téléphoner de maison en maison : « Vous avez vu ces gens ? Le gosse qui fouine partout et la mère qui jette ses seins à la tête de nos maris ? »

Un peu plus loin un meuglement lui signala la présence d’une étable. Une odeur de bouse et de paille mouillée flottait dans l’air. Tournant la tête, il aperçut des stalles que fermaient des grilles montant à plus de deux mètres de hauteur. Ce n’était plus une étable, c’était un zoo ! Un zoo assez solide pour abriter un troupeau de rhinocéros !

Le souffle coupé, il s’approcha de la barrière. Les vaches qui remuaient dans la pénombre étaient, elles aussi, couvertes de cicatrices et de plaies anciennes. Plusieurs d’entre elles arboraient des cornes brisées ou fendues. Les sutures approximatives qui serpentaient sur leur cuir donnaient l’impression d’animaux ayant réchappé au tumulte sanglant d’une corrida, et placés là en convalescence.

Mais c’était idiot ! On ne faisait pas de corridas avec des vaches laitières. Quant aux rodéos, les animaux n’en sortaient pas lacérés de la tête à la queue…

L’enfermement les rendait sans doute folles, et elles se jetaient sur les grilles pour essayer de retrouver leur liberté. Non, c’était encore plus stupide que le reste.

La région était infestée de renards et de coyotes, de lynx aussi, et ces fauves s’infiltraient dans la ville à la nuit tombée…Mais l’espacement des barreaux n’était pas assez réduit pour tenir à l’écart. Il lui aurait suffi de s’aplatir au ras du sol pour se glisser entre les trous de la grille.

David sentait la migraine l’envahir. Cette ville tenait à la fois du zoo et de la prison. Tout le monde y vivait en cage, les animaux comme les habitants. Il décida de revenir à la voiture.
(…)
                
Extrait du livre : « Cauchemar à louer. » de Serge Brussolo


Un livre pour les amateurs de fantastique : une famille quitte la grande ville pour aller s’installer dans un fortin solitaire, témoin d’anciennes batailles, au cœur de la forêt de  Willoughby . David, le jeune garçon, va très rapidement constater que ses parents ont un comportement bizarre… Personnellement, j’ai trouvé le langage de cet auteur parfois un peu trop cru. Quant à  l’intrigue, souvent prévisible, elle ne me laissera pas un souvenir impérissable.


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